Amoureuse des vagues et des caresses du vent, la chanteuse neuchâteloise à la voix de sirène s’est baignée dans tous les océans de la musique qui lui plaît, soul, jazz, acoustique, électrique, duo, big band. Au risque de se noyer, parfois. Mais elle a accosté enfin sur son rivage, ni sage ni volage, familier simplement. Son quatrième album, «Rebelles», qui sort au printemps 2013, témoigne de sa maturité. Son aile africaine et son aile suisse volent dans la même direction, d’un mouvement ample et plein de grâce. Sang-mêlé elle est, sang-mêlé elle veut être. C’est son choix, sa liberté, sa mission peut-être même, comme métissage est son maître mot, qu’elle décline dans toutes les langues, français, anglais, douala, umbundu, kikongo.
Pendant deux ans, elle a écrit ou enregistré sur son portable des bouts de phrases, quelques lignes mélodiques. Elle s’est assise à son piano, elle a laissé son esprit et ses doigts vagabonder. Une douzaine de chansons sont ainsi nées, sensuelles, nostalgiques, de constat ou de combat. Elle y raconte l’humble supplique d’une femme mariée en quête d’une aventure exotique, la rébellion sous les flocons de sa mère qui a osé aimer un être si différent ou encore le retour au pays d’un exilé un peu paumé. Elle parle d’elle aussi, de son âme mélangée qui tape, qui claque et la fait voyager, elle évoque sa dualité en ces termes: «fracas silencieux», «calme furieux». Florence Chitacumbi est une chanteuse au coeur de braise: un feu vif à l’intérieur, et la force de le contenir pour ne pas se consumer.
De sa mère chaux-de-fonnière, elle a hérité la constance, une certaine modestie aussi. De son père angolais l’esprit d’aventure, la révolte, l’ambition. Mais tous deux lui ont légué leur sens de la lutte, vivre -ou alors mourir- pour des idées, explorer encore et toujours pour ne pas se dessécher sur pied.
Tout en écrivant les titres de son quatrième album, la belle rebelle a senti monter en elle le désir d’un son plus dense et de nouvelles rencontres musicales. Les artistes l’aiment, elle le sait, parce qu’elle ne joue pas à la star, qu’elle est à leur écoute. Elle est la femme, la trame, mais elle a besoin d’eux et de leurs fils chamarrés, pour tisser de mille notes ses précieux tissus. L’amitié, une fois encore, lui a permis de mobiliser de solides talents. Comme elle avait déjà réussi à capter l’attention du prestigieux percussionniste Mino Cinelu, venu de New-York pour enregistrer avec elle, elle s’est cette fois tournée vers Noël Assolo, bassiste camerounais établi à Paris, qui a travaillé une dizaine d’années pour les Rita Mitsouko et produit Olivia Ruiz ou Patricia Kaas. Pour la première fois, elle se dotait ainsi d’un directeur artistique et acceptait de lui laisser le dernier mot. Elle ne s’en mord pas les doigts, loin de là. Avec Iso Diop à la guitare, Franck Montegary à la batterie, Chico aux Percussions et Elizabeth Brown comme choriste, l’équipe était au complet. «Rebelle» a été enregistré au studio Colors à Neuchâtel, mixé à Paris dans le home studio de l’ingénieur du son Anthony Aribo, un ancien du label EMI, et mastérisé au studio La Villa, toujours dans la Ville Lumière, par Jeremy Henry.
Jeune fille au pair à Londres, en 1985, Florence Chitacumbi s’était entichée de ses premiers amis musiciens, et avait chanté pour plusieurs groupes. Le déclic. Son chemin l’a ensuite conduite à Paris, à Bruxelles, pour se frotter à d’autres expériences, d’autres genres musicaux. Avec les Four Roses, un quartette féminin de jazz dont elle était la chanteuse, elle a parcouru le monde, de Russie en Afrique du Sud, d’Amérique Latine à Madagascar. Invitée par le Big Band de Lausanne, elle s’est produite sur les plus grandes scènes. Elle a pratiqué le duo, intimiste, avec le guitariste Laurent Poget, chanté avec Brian Jackson pour Mr Goo, arpenté des dizaines de festivals, Belgique, Sofia, Moscou, ou par ici Festineuch et Le Corbac. Mais elle a aussi été fidèle pendant une vingtaine d’années à des musiciens comme N’Dombe Djengue, Yves Ndjock ouValery Lobe qui lui a légué, avant de mourir, une très belle chanson pour son quatrième album, Dipita, écrite dans une langue inventée parce qu’exilé, il n’avait appris aucun idiome africain.
La chanteuse qui aime les vagues -mais n’en fait pas trop-a su rester proche de son âme d’enfant. Sa voix a grandi avec elle sans perdre son timbre si riche et si particulier. «Rebelle», c’est peut-être toujours son programme, s’opposer, composer, s’exposer. Avec ce quatrième album, elle va partir encore une fois à la conquête du monde. Mais elle le reconnaît, avec un petit sourire tendre: le compliment le plus touchant qu’on lui ait fait ne venait pas d’un critique, d’un artiste, d’un fan, mais de sa fille aînée qu’elle a entendu dire à une amie: «Ma maman, elle, c’est une vraie chanteuse».