MANNISH BOYS : « Blues For You «
(72’35) Sweet Home / Mosaïc Mlusic
Ce groupe toulousain, qui affiche déjà deux décennies au compteur, s’est choisi un nom aussi parlant qu’hélas répandu. Dissipons donc tout malentendu : outre une formation blues-rock du même nom, issue de la banlieue lyonnaise, les Mannish Boys dont ils est ici question n’ont rien à voir (si ce n’est leurs affinités communes) avec leurs homonymes californiens (combo qui compte en ses rang rien moins que Richard Innes. Finis Tasby, Franck Goldwasser, Randy Chrotkoff et Kid Ramos, tout de même)… Nos amis languedociens n’ont toutefois guère à rougir de la comparaison : voici déjà leur septième album ! Le précédent, « Take it Easy », était un live capté dans leur fief. Toujours mené par le guitariste-chanteur Bruno Metregiste (alias Mojo Bruno), le line-up assume une belle stabilité, et c’est avec grand plaisir que l’on retrouve l’excellent harmoniciste Mickaël Mazaleyrat, qui c-signe, après le funky « One you need » d’ouverture, le chaloupé « My luck willchange ». Les qualités du groupe (dont la carrière a pris au fil des ans une dimension internationale) se sont encore développées : chant habité (au timbre voilé juste ce qu’il sied), guitare gorgée de feeling (et biberonnée aux sources adhoc : Albert Collins, Freddie et B.B. King. T-Bone Walker, Pee-Wee Crayton et Jimmy McCrackling, pour le volet élmectrique …), et section rythmique aussi souple que polyvalente. Le jump « Some kisses » est ainsi foudroyé par un solo incandescent de Mazaleyrat, tandis que le gospel se baigne dans les eauc du Delta, pour un « At your door » réminiscent de Mississippi John Hurt. Le lancinant Sugar Babe », à la guitare nimbée d’echo-delay, évoque les moites climats des tout premiers Canned Heat. Mazaleyrat y démontre à nouveau tout son talent, qui l’a depuis longtemps hissé parmi les tout meilleurs harmonicistes européens : assurément l’un des titres à écouter en priorité ! Vient ensuite la plage titulaire , portée par la basse roulante du grand Jeff Cazorla, et les baguettes nerveuses et précises de Franck Zurano, batteur pour qui le groove n’a plus aucun secret. Car c ‘est bien l’assise rythmique qui distingue depuis toujours les vrais groupes de blues des amateurs, aussi doués que puissent en être les solistes. Mais la cerise sur le gâteau s’avère ici la guitare de Bruno : son solo est en tout point remarquable, qu’il s’agisse tout bonnement du son (autre signe distinctif des vrais grands), ou encore de sa concision dans le lyrisme et l’émotion. Chapeau bas ! Seule reprise de cet album, c’est sur un lazy beat emprunté à Jimmy Reed que nos comparses interprètent ensuite le ‘You can’t lose what you ain’t never had » de Muddy Waters, à la slide duquel rend ouvertement hommage celle de Mojo Bruno. Guitare et basse se confondent à l’unisson, tandis que Zurano caresse sa caisse claire de légers balais : le climat est aussi feutré qu’oppressant… Il n’est pas d’album des Mannish Boys sans détour par la Nouvelle Orléans. Cette fois, c’est « Up to your soul » qui assure le voyage ! wah-wah caquetante à souhait et funky beat – bon Dieu, nos Toulousains se prendraient-ils pour les Meters ? L’appel à la danse y est en tout cas irrésistible, tout comme son imparable chorus de guitare. A ce stade, on ne parle plus d’exercice de style, mais bel et bien d’approbation ! Retour ensuite au Mississippi (mais plutôt chez Fred McDowell), pour le bien nommé « Same Mississippi blues », Mojo Bruno a empoigné son dobro pour slider méchamment tandis que Mazaleyrat retrouve les accents du premier Sonny Boys Williamson. Porté par une rythmique aussi répétitive qu’enjouée, ce titre confine bientôt à la transe, mais la versatilité de nos amis les entraîne bien vite vers d’autres horizons encore. Le « Mannish boogie », manifestement improvisé sur le vif, est le genre d’instrumental swing dont George « Harmonica » Smith et son émule Rod Piazza régalèrent des années durant les clubs de la west-coast amerique. Bruno y démontre quant à lui qu’il n’est pas resté indifférent à l’apport du regretté Hollywood Fats : tout bon ! Entraîné par un riff de slide déchiré, le shuffle « Under my feet » égrène un inventaire à la Lennon, avant une furieuse démonstration de bottleneck, façon J.B. Hutto. Mazaleyrat n’entendant pas demeurer en reste, ce titre culmine en une infernale bacchanale, preuve qu’on n’a pas forcément besoin de pousser les potards à 11 pour dégager une saine énergie ! Zurano ressort les pinceaux et Cazorla à la contrebasse pour le lounge swing « Right way », auquel Mazaleyrat apporte sa touche subtile, avant un solo de gratte de Bruno tellement jazzy (et concis) qu’il me rappelle le grand J.J. Cale en pareil contexte. Cet excellent CD se referme entre bayou et Martinique, avec le tendre et chaloupé « Cajun bird », qui évoque les racines créoles de Bruno. Un conseil, ne vous ruez pas sur votre lecteur dès l’extinction de la dernière plage : ces farceurs ont en effet planqué un ultime instrumental fantôme, après quelques minutes de silence ! … Chaleureusement recommandé : plaisir assuré !
BLUESBOARDER Septembre 2009 N° 180 Patrick Dallongeville